Par Thomas Lajudie
Le 10 septembre dernier, le Sénat californien a adopté un projet de loi bouleversant le statut des personnes travaillant en qualité de prestataire sur les plateformes de transport.
Cette loi, dénommée AB 5 pour Assembly Bill 5 vient codifier une décision de la Cour Suprême de Californie du 30 avril 2018[1], afin de s’assurer de son application à l’ensemble des travailleurs californiens.
1. Ce que dit la loi AB 5
La loi californienne entérine un test dit ABC test qui a pour objet de déterminer si une personne doit être considérée comme salariée ou travailleur indépendant, et permet ainsi de qualifier son statut.
En vertu du test ABC, une personne fournissant un travail ou un service en contrepartie d’une rémunération doit être considérée comme salariée plutôt que travailleur indépendant sauf si l’entité faisant appel à ses services démontre qu’il satisfait les trois conditions suivantes :
- La personne n’est pas sous le contrôle et la direction de l’entité dans le cadre de la réalisation de son travail, tant dans le contrat les liant que dans les faits ;- La personne effectue un travail qui n’entre pas dans l’activité normale de l’entité ;
- La personne est bien enregistrée comme indépendant afin de fournir un travail de même nature que celui concerné.
Ces trois conditions doivent être démontrées de manière cumulative par l’entité concernée, et non par le travailleur.
Cette loi, présentée comme visant principalement les plateformes de transport telles Uber et Lyft, est rédigée de façon suffisamment large pour s’appliquer à tout travailleur de la gig economy, l’économie des petits boulots. Par exemple, les sociétés de ménage californiennes pourraient voir requalifiés les travailleurs indépendants qu’elles embauchent en salariés.
Cette rédaction a néanmoins pour conséquence de laisser place au débat. Ainsi, le directeur juridique d’Uber, Tony West, a estimé que sa société n’était pas concernée par la loi AB 5, estimant que l’activité normale d’Uber est de « servir de plateforme technologique pour différents types de places de marché digitales. »[2]
2. Qu'en est-il en France ?
Cette loi est à mettre en perspective avec l’arrêt de la Cour de cassation du 28 novembre 2018, qui a requalifié en salariés des travailleurs indépendants sur la plateforme de livraison de repas Take Eat Easy.
Pour rappel, la Cour de cassation avait considéré que les livreurs devaient être considérés comme des salariés car Take Eat Easy exerçait sur eux un « Pouvoir de subordination », caractéristique fondamentale du salariat.
Le lien de subordination est défini par la jurisprudence française comme « l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné »[3].
On retrouve dans la loi AB 5 les notions de « contrôle » et de « direction », mais pas le pouvoir de sanction nécessaire à la qualification du lien de subordination.
Le législateur français n’est pas en reste puisque, le 17 septembre 2019, l’Assemblée Nationale a adopté en deuxième lecture le Projet de loi d’orientation des mobilités (LOM)[4].
L’article 20 de cette loi met en place des dispositions spécifiques pour les plateformes de transport avec chauffeur ou de livraison à deux roues.
En particulier, les travailleurs pourront refuser une proposition sans faire l’objet d’une quelconque pénalité, et ainsi ne pas être soumis au pouvoir de sanction de la plateforme.
Là où la loi AB 5 part du postulat que les travailleurs sont salariés à moins de satisfaire les conditions du test ABC, la loi LOM se saisit différemment du problème en posant des garde-fous visant à empêcher les plateformes d’exercer un lien de subordination.
Les lois AB 5 et LOM s’inscrivent dans un mouvement général de prise de conscience de la précarité des travailleurs indépendants et de volonté de leur accorder un statut plus protecteur lorsque leurs conditions de travail se rapprochent fortement du salariat.
Les travailleurs indépendants référencés sur les marketplaces sont particulièrement visés par ce mouvement.
Il est donc plus nécessaire que jamais pour les opérateurs de plateformes en ligne d’être vigilants sur les conditions contractuelles et factuelles les liant aux prestataires qu’ils référencent, tant au moment de la définition du modèle juridique de la plateforme que lors de ses évolutions, par l’ajout de nouveaux services par exemple.
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[1] https://www.courts.ca.gov/opinions/archive/S222732.PDF
[2] https://www.uber.com/newsroom/ab5-update/
[3] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007035180