Par Gael Mahe et Virgile Servant-Volquin
La plateforme de streaming Twitch est dans la tourmente. Victime d’un piratage massif, 125 go de données appartenant à la plateforme ont été diffusés sur Internet. Les rémunérations de nombreux streamers de la plateforme ont été compilées par des internautes.
Parlant de rémunération, le faste train de vie des streamers de casino en ligne affiché sur les réseaux sociaux a également attiré l’attention de nombreux acteurs. Les streams de jeux d’argent se sont, d’ailleurs, multipliés en France depuis les confinements liés au COVID19. Pourtant, les jeux d’argent en ligne sont très règlementés voir interdits en France. On pourrait donc légitimement se poser la question de leur présence sur les plateformes de streaming…
Qu’est-ce qu’un casino en ligne ?
Un casino en ligne (aussi appelés casinos « virtuels ») est un espace de jeu accessible par internet. Il propose des conditions de jeux réputées plus favorables autant pour les joueurs et que pour les casinos notamment en raison de la réduction des coûts fixes et de la base de prospects potentiellement plus importante.
En France, le principe édicté par le code la sécurité intérieure est celui de la prohibition. La liste des activités de jeux autorisés est délimitée et renvoie à une réglementation spécifique. En matière de jeux d’argent et de hasard, les seules exceptions tolérées sont relatives à l’organisation de fêtes foraines .
En l’absence de réglementation spécifique, les casinos en ligne sont donc illégaux sur le territoire français. Pourtant, il est malaisé d’assurer l’effectivité de la législation anti-jeu quand le service proposé sur internet est hébergé à l’étranger.
Nombre de casinos illégaux en ligne sont accessibles à des joueurs français. Ces derniers revendiquent parfois l’obtention d’une licence d’opérateur de jeu sous une autre juridiction comme celle de Curaçao, internationalement connue pour sa facilité d’obtention et non reconnue en France. Les mises étant en cryptomonnaies, les activités en sont d’autant plus opaques et difficiles à tracer.
Le stream de casinos en ligne : une pratique en plein développement
Depuis 2019, la pratique de streams sur la plateforme dédiée Twitch a explosé. Sur cette plateforme, des streamers anglophones et francophones ont d’ailleurs investi cette activité de « gambling » (paris) en proposant à leurs « viewers » (spectateurs) du contenu 24h/24.
Le succès d’audience de ces streams peut s’expliquer de plusieurs manières :
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Les plateformes publicitaires des GAFA sur Internet refusent de faire de la publicité pour des activités de jeu illégales ;
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Les casinos en ligne ont donc recours à des streamers, ce qui est astucieux car la publicité n’est pas faite en leur nom propre, mais par l’intermédiaire d’un streamer. Cette publicité indirecte renforce le lien d’identification des viewers au streamer et permet d’augmenter le taux d’engagement tout en évitant le démarchage direct par les casinos ;
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Les streamers font le « show » : les sommes engagées sont hors d’atteinte du joueur lambda, avec des mises régulières à plus de 1000 euros (en sachant qu’une seule session stream est composée de plusieurs centaines de mises). Certains streamers se sont d’ailleurs fait connaître en remportant plus d’un million d’euros via ces casinos.
Comment ces chaînes peuvent-elles diffuser du contenu en continu, tout en mettant en jeu des sommes qui mèneraient n’importe quel individu moyen à la banqueroute en quelques heures ? |
La pratique de la contractualisation avec les casinos
Selon certains observateurs du secteur, les streamers seraient liés de manière contractuelle aux casinos et financeraient le jeu et leurs mises selon plusieurs modalités. Ainsi, il serait fréquent :
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Qu’une somme forfaitaire soit versée au streamer ;
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Que le streamer soit rémunéré de manière proportionnelle au nombre de nouveaux joueurs redirigés vers l’inscription sur le site et/ou sur une fraction des pertes desdits joueurs une fois inscrits ce qui encourage le streamer à inciter ses viewers à miser ;
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Que le streamer dispose d’un nombre conséquent de paris « gratuits », versés sans contrepartie par le casino pour augmenter l’enjeu du stream.
Conséquences néfastes soulevées par cette pratique
Ces pratiques soulèvent plusieurs problèmes. La loyauté et la transparence de la pratique ne sont pas assurées. La promesse de gains mirobolants n’est pas conditionnée à l’engagement personnel de l’argent du streamer. Celui-ci n’assume aucun risque du jeu tout en récoltant les gains potentiels.
Ces contenus font naître des comportements addictifs et une espérance chez de nombreux individus, dont les témoignages se sont multipliés sur le net. Il est d’autant plus problématique de constater que le public cible de ces streams est souvent composé de jeunes hommes parfois mineurs, souvent de condition socio-économique défavorisée.
En outre, il arrive que dans le cadre d’un partenariat avec le streamer, des sommes soient offertes par le casino en ligne pour permettre aux joueurs de miser, mais souvent le retrait des gains est conditionné par un « wager » (plancher minimum de mises avant de pouvoir retirer ses gains[1]). Ce wager place le joueur dans un engrenage de jeu l’incitant à miser toujours plus pour pourvoir retirer ses gains.
De plus, dans les conditions générales des casinos en ligne il est souvent indiqué que l’activité de jeu en ligne doit être légale dans le pays du joueur. Ainsi, il arrive fréquemment que le versement des gains soit refusé par le casino au joueur pour non-respect des conditions générales. Cette activité étant illégale en France, le joueur n’a pas d’issue juridique face à des pertes se comptant souvent en milliers d’euros.
Enfin, le fait que les transactions soient très souvent effectuées en cryptomonnaie directement via le « wallet » du joueur, facilite les transactions et entrave la conscience du joueur concernant les sommes en jeu.
De sérieuses conséquences juridiques ?
Consciente de la prolifération de ces streams, l’ANJ (Autorité Nationale des Jeux) a fait part de son intention de réagir face à cette activité. Il est en effet possible d’envisager plusieurs axes juridiques, au vu des parties prenantes.
En ce qui concerne les streamers
Depuis 2010, le fait de faire de la publicité, par quelque moyen que ce soit en faveur d’un site de jeux d’argent non autorisé est puni d’une amende 100.000 euros. Il est possible pour le tribunal de moduler l’amende au quadruple du montant des dépenses publicitaires. Il est enfin loisible au président de l’ANJ de requérir la cessation de l’activité par toute mesure possible.
Au vu des liens contractuels qui unissent le streamer et le site de casino en ligne ainsi que de la communication agressive en vue de l’affiliation du viewer, il semble envisageable de considérer que les streamers de casino fassent de la publicité illégale pour des casinos en ligne. La loi vise en effet la publicité faite « par quelque moyen que ce soit », de sorte à englober les différentes techniques pouvant être mises en œuvre aux fins de promotion d’une activité de jeux illégale.
En ce qui concerne les plateformes de streaming
La loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 prévoit pour les hébergeurs de contenus une obligation de retirer promptement les contenus manifestement illicites lorsque leur existence leur a été notifiée.
Le caractère « manifestement illicite » d’un contenu est acquis dès lors qu’il n’y a pas besoin d’interpréter les faits pour en déterminer le caractère illicite. C’est par exemple le cas de :
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L’apologie du terrorisme ;
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Des incitations à la haine ou au meurtre ;
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De la pédopornographie ;
La responsabilité de Twitch pourrait être recherchée sur ce fondement. Il appartiendrait toutefois à l’ANJ de démontrer que :
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Le caractère illicite du streaming de casino pour les adresses IP françaises ait été dûment notifié par un utilisateur ;
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Que le stream soit « manifestement illicite ». Twitch n’étant qu’une plateforme de partage de contenu, américaine de surcroît, il est difficile de présumer la connaissance de l’illégalité des casinos en ligne en France d’autant que les streamers utilisent régulièrement des stratagèmes visant, par exemple, à faire croire qu’ils s’adressent à un public canadien également francophone où les casinos en ligne semblent autorisés.
En tout état de cause, la plateforme semble avoir pris la mesure du risque juridique latent qui pèse sur l’hébergement de tels streams. Plutôt que de les bannir, elle a annoncé courant septembre avoir interdit la promotion des liens d’affiliation vers des jeux d’argent sur sa plateforme.
En réaction à ce changement, les streamers n’ont pas arrêté la diffusion, mais renvoient leur communauté vers d’autres plateformes comme Discord ou Instagram pour faire de la promotion plus « agressive » des casinos en ligne.
En tout état de cause, l’ANJ est consciente de cette situation et réagira vraisemblablement dans un avenir proche. Affaire à suivre.
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[1] Si par exemple le casino offre 300€ de mise avec un wager de 20, il faudra miser 6000€ (300€ x 20) avant de pouvoir retirer ses gains