L’enjeu juridique du jumeau numérique

L’enjeu juridique du jumeau numérique
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Par Gérard Haas

Ce qu’il y a de fascinant avec le numérique c’est qu’il se construit à travers des outils et des usages. Aucune activité, aucun secteur n’est épargné et pour ne pas être dépassé, il est impératif de s’adapter.

Présenté comme une révolution majeure, le concept de jumeau numérique ou "digital twin" fait peu à peu son chemin. Prenons en exemple le secteur de la construction et du BTP.

Ce secteur peut-il offrir des solutions s’appuyant sur l’usage ?

Comment collecter des informations qui favoriseront le partage d’un savoir-faire au service des utilisateurs ?

1. Jumeau numérique ou « digital twin » : qu’est-ce que c’est ?

Un jumeau numérique - ou digital twin - est la représentation virtuelle d'un objet physique. Il s'agit d'une réplique numérique exacte souvent en 3D, d'un équipement, prenant en compte l'intégralité de ses composants et de leurs propriétés. En outre, ce double numérique est continuellement nourri de données récoltées sur l'objet physique afin qu'il évolue de la même manière. Il peut être doté d'algorithmes d'intelligence artificielle lui permettant de prendre des décisions comme un être humain.

 

Longtemps réservé aux constructions de tours, son adoption par les foncières est désormais accélérée par la baisse de son coût, les progrès en intelligence artificielle et par la possibilité de cueillir facilement d'importantes quantités de données.

Les jumeaux numériques sont élaborés pour tous types d’édifices. Avec la modélisation des données du bâtiment (BIM - Building Information Modeling -ou Modélisation des informations du bâtiment, est un concept de structuration et de visualisation de données et une maquette numérique d'un ouvrage bâti.) il est aisé de simuler la construction d'un immeuble et d'optimiser sa gestion tout au long de sa vie (consommation d'énergie, sécurité, maintenance prédictive, etc.). Le BIM, ou Modélisation des informations du bâtiment, est un concept de structuration et de visualisation de données et une maquette numérique d'un ouvrage bâti. Observons que depuis plusieurs années déjà, les professionnels de la construction et de l’immobilier côtoient le BIM (Building Information Modeling). Si les deux concepts de BIM et de jumeau numérique se distinguent, beaucoup considèrent qu’ils sont amenés à converger pour offrir toujours plus de performances. La maquette numérique du BIM pourrait servir d’élément de base au jumeau numérique, grâce au recueil des différentes données du bâtiment. De son côté, le jumeau numérique apporterait les bénéficies de l’IoT avec une possibilité de prévision d’incidents, notamment structurels.

 

Dans l’univers de la construction et des BTP, le jumeau numérique est la réplique d’un bâtiment, sous une forme numérique. Le BIM, est un concept de structuration et de visualisation de données et une maquette numérique d'un ouvrage bâti.

2. Le jumeau numérique, un instrument de prédiction

Lorsqu’on construit un jumeau numérique, on peut essayer plusieurs possibilités pour sa conception, mais aussi intégrer un retour d’expérience de son utilisation pour rétroagir sur les modifications ultérieures permettant de l’améliorer. Par exemple, on peut simuler les conséquences de la création d’un nouvel espace (conciergerie, salle de sport, piscine ou lieu de repos et de détente…) dans le bâtiment et estimer les besoins en disponibilités, accès, énergie …que cela entrainera.

 

Constatons que le jumeau numérique s’alimente de la captation de l’enregistrement et de la circulation des données provenant du bâtiment. Les capteurs remontent les informations qui permettent alors de les comprendre, les corriger et faire progresser les modèles. Ces derniers, au départ, théoriques sont ensuite enrichis des prélèvements quotidiens sur le terrain. Ainsi on peut analyser les relations entre les acteurs, les activités, les locaux et mettre en lien différentes natures d’informations pour les corréler.

Petit à petit, s’affichent les données d’usage du bâtiment. Remarquons ici qu’il faudra éviter l’écueil de la duplication, c’est-à-dire qu’une même information soit reproduite sous prétexte qu’elle est exploitée dans plusieurs domaines. De plus, cette donnée unique doit être accessible par le Cloud et sécurisée pour rendre possible son accès facile à plusieurs utilisateurs, tout en gérant les droits d’exploitation sur chaque donnée. Enfin, si chacun peut apporter sa propre information, elle doit pouvoir servir aux autres. On mutualisera les moyens d’alimenter et de mettre à jour les informations.

3. Immeuble connecté, droit déconnecté

Observons également que la technologie permet aux occupants de contrôler à partir de leurs smartphones la consommation d'énergie de leur logement, le fonctionnement de leur machine à café pour une mise en service cinq minutes avant leur réveil, la lumière en fonction des heures de la journée ou encore leur boîte aux lettres pour recevoir et envoyer des colis à toute heure.

En matière de construction n'importe quel logement peut être « digitalisé » via l'installation d'une simple box connectée transformant l'immeuble au service de l'utilisateur.

 

Au-delà du bâtiment, ce mouvement de digitalisation touche également les acteurs impliqués dans les projets immobiliers. De nouveaux métiers et de nouveaux marchés émergent et, avec eux, de nouvelles problématiques. Des questions se posent quant aux incidences juridiques découlant de l'arrivée de l'immeuble connecté, notamment au regard des notions habituellement pratiquées en matière de droit de la construction et des responsabilités obligatoires. Cette évolution technologique est-elle, en définitive, une véritable révolution ?

 

La digitalisation à un impact juridique sur la notion de bâtiment, la cour d'appel de Paris a jugé qu'un dispositif domotique ne pouvait pas recevoir la qualité d'ouvrage et qu'il ne pouvait pas non plus être considéré comme faisant indissociablement corps avec les ouvrages de fondation, d'ossature de clos ou de couvert au sens de l'article 1792-2 du Code civil 

Des désordres ayant affecté l'installation domotique sont-ils couverts par une garantie décennale ou biennale ? (Cass. civ. 3e, 26 février 2003, n° 01-14352, Bull ; pour les non-conformités aux normes d'isolation phonique (Cass. civ. 3e, 20 mai 2015, n° 14-15107, Bull., mais aussi pour les défauts de performance énergétique).

Certes, l'immeuble connecté n'a pas encore d'incidence sur les garanties et sur la responsabilité des constructeurs, la domotique n'étant pas encore assez développée pour que l'on puisse considérer que des désordres la concernant portent atteinte à la destination même de l'immeuble. Un arrêt de la cour d'appel de Paris a d'ailleurs jugé qu'un dispositif domotique ne pouvait pas recevoir la qualité d'ouvrage et qu'il ne pouvait pas non plus être considéré comme faisant indissociablement corps avec les ouvrages de fondation, d'ossature de clos ou de couvert au sens de l'article 1792-2 du Code civil -CA Paris, 20 septembre 2017, n° 15/12829) mais aussi sur celle de destination ou encore sur les garanties applicables aux constructeurs

Le développement de l'immeuble connecté pourrait à terme bouleverser la notion même de bâtiment dans son acceptation originelle. Le bâtiment serait moins un abri qu'un outil performant au bénéfice de ses utilisateurs. 

 

L’immeuble ne serait plus tant un abri qu'un mécanisme performant au bénéfice de ses utilisateurs.

4. La propriété des données un enjeu pour le jumeau numérique

Propriété et échange des données : Aujourd'hui, les données récoltées appartiennent aux propriétaires des équipements connectés. La plupart laissent les installateurs du jumeau numérique accéder aux données puisque cela leur apporte un bénéfice direct (analyse, prédictions et conseils). Il est possible que demain ces données soient commercialisées et il n'existe à ce jour pas de réglementation spécifique sur les modalités de leur échange. Il importe donc dans un environnement de multiplication des données et de leur partage de fixer à qui appartiennent ces données et quel droit de regard avons-nous sur la connaissance qui en sera ensuite extraite ? Outre la question de la propriété des données, voilà qu’apparaît celle de l’appropriation des résultats et en matière de données personnelles notamment celles du consentement, du droit d’accès et de la portabilité ? Si un jumeau numérique est extrait de nos usages, devons-nous en être informé ? idem s’agissant du partage d’un jumeau numérique.

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L’émergence du bâtiment intelligent pose de nouvelles questions car les données utilisées et récoltées sont diverses dans leurs usages (simulation, prédiction, gestion opérationnelle…)  et peuvent vite aboutir à des problème de volume, de cohérence, de sécurité et de propriété. Le bâtiment numérique pose ainsi la question du patrimoine informationnel disponible, de sa gestion et de son évolution.

Si le droit n’est pas encore dépassé, il devra évoluer. Décidément là où il y a de la data, il y a nécessairement un besoin de recours aux professionnels du droit qui sont les seuls à pouvoir neutraliser le risque juridique digital. 

 

Le Cabinet est naturellement à votre entière écoute pour toutes problématiques sur les objets connectés que vous pourriez rencontrez.

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Gérard HAAS

Auteur Gérard HAAS

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