Par Gérard HAAS et Bastien EYRAUD
Le numérique favorise la centralisation des acteurs et la concentration du marché. Ces phénomènes ont conduit au développement des GAFA, ces géants américains que sont Google, Apple, Facebook et Amazon, talonnés par leurs équivalents chinois les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi).
Ces entreprises se diversifient en investissant à coup de milliards dans la recherche, et en rachetant leurs concurrents émergeants de manière à contrôler toute la chaine de création de valeur[1]. Cette stratégie les place dans une position dominante leur permettant d’empêcher l’entrée de nouveaux acteurs concurrents.
Leur force de frappe est désormais telle que l’on parle d’entreprises-Etats, ce qui pose des questions sur l’indépendance technologie de nos sociétés, le respect de nos valeurs démocratiques et de la souveraineté populaire[2].
Comme un remake du passé
La situation est comparable à l‘affaire de la Standard Oïl et aux lois antitrust adoptées aux Etats-Unis à la fin du XIX siècle. Cette entreprise de produits pétroliers avait un monopole sur toute la chaine de production et de distribution. Elle disposait d’une influence énorme sur les institutions américaines, dans la mesure où elle avait la main mise sur la principale ressource énergétique du pays.
Cette affaire a donné lieu à l’adoption des lois anti-trust en 1890, c’est-à-dire anti monopole. Ces lois ont imposé la division de cette entreprise en 7 compagnies indépendantes de manière à l’affaiblir, et à permettre la reprise en mains de l’économie du pays.
Le RGPD, une loi anti-trust à l’européenne
Aujourd’hui, un phénomène semblable de concentration apparait avec les GAFA et les BATX. Face à cela, l’Europe est à la traine et aucun fleuron technologique n’existe sur notre continent.
Dans cette optique, le RGPD applicable depuis mai dernier, a mis en place le droit à la portabilité des données. Cette nouvelle règlementation donne à toute personne dont les données personnelles sont collectées, la possibilité d’appliquer la portabilité. C’est-à-dire de transférer l’ensemble de ses données personnelles d’un service numérique à un autre.
L’objectif est de fluidifier le marché et de favoriser l’émergence d’une concurrence européenne.
Le fonctionnement de la portabilité
L’exemple de la portabilité du numéro de téléphone mobile permet d’illustrer ce nouveau droit. En effet, depuis plusieurs années, les utilisateurs peuvent conserver leur numéro de téléphone tout en changeant d’opérateur pour profiter de conditions plus avantageuses (prix, data disponible, appels, sms…).
Le but affiché est de favoriser la concurrence entre les différents opérateurs de téléphonie mobile en facilitant le changement pour le consommateur. Le même effet est recherché avec la portabilité des données instaurée par le RGPD.
Ainsi, chaque fournisseur de service numérique doit communiquer dans un format exploitable, l’ensemble des données personnelles produites par l’utilisation du service. L’utilisateur peut alors changer de service pour celui d’un nouvel opérateur accompagné de ses données personnelles.
Les cas d’applications sont nombreux :
- L’utilisateur qui souhaite changer de plateforme de musique en streaming pour une autre pourrait demander à celle qu’il quitte de lui transmettre la liste de ses musiques favorites, des playlists écoutées, de ses préférences, de son historique d’écoute etc…
- De même, en quittant un réseau social pour un autre, il serait possible d’emporter avec soi la cartographie de ses relations sociales afin de la transmettre directement au nouveau service.
- Ou bien encore, en cas de changement d’hébergeur cloud, l’ensemble de nos fichiers serait transféré entre l’ancien et le nouvel hébergeur.
Finalement, l’utilisateur conserve ses données et les transferts à sa nouvelle plateforme, comme il transfert aujourd’hui son numéro de téléphone en cas de changement d’opérateur mobile. Cette mesure est censée affaiblir le taux de rétention des grandes entreprises du net. D’une part en améliorant le confort de l’utilisateur qui décide de changer de plateforme, et d’autre part en favorisant la circulation des données personnelles entre les différents acteurs du marché. Permettant ainsi plus facilement à de nouveaux concurrents d’émerger.
Toutefois, l’absence de standards d’interopérabilités plus précis empêche la réutilisation facile des données transférées par le service qui va les recevoir. Ce qui amoindrie nettement l’efficacité du dispositif tel que souhaité par l’Union européenne[3].
Il serait judicieux de prendre des mesures afin de mener jusqu’à son terme la portabilité. Tel par exemple la création d’une entité unique ayant pour mission de gérer la portabilité des données comme c’est le cas en matière de téléphonie[4], ou de s’assurer que les entreprises du net prennent les mesures adéquates pour assurer sa pleine effectivité.
[1] https://atelier.bnpparibas/smart-city/article/strategie-geants-numerique-reposerait-elle-absorption-masse
[2] http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018/12/17/20002-20181217ARTFIG00166-la-france-taxera-les-geants-du-numerique-a-partir-du-1er-janvier-2019.php
Et https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-174942-gafam-le-vrai-danger-pour-la-democratie-2122854.php
[3] https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/12/numerique-la-portabilite-est-un-vecteur-puissant-de-concurrence_5396110_3232.html
[4] http://portabilite.org/ce-qui-a-change.php