Le cadre juridique des marketplaces et plateformes en 2020

Le cadre juridique des marketplaces et plateformes en 2020
⏱ Lecture 10 min

Par Paul BENELLI et Julie SOUSSAN

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Ces dernières années, le développement des marketplaces n’a cessé de croître.  Selon la Fédération E-Commerce et Vente A Distance (FEVAD), en 2019, parmi les entreprises de 10 personnes ou plus qui vendent en ligne, 38% vendent sur les places de marché. 

 

Ce taux monte à 47% pour les entreprises de 10 à 19 personnes.

Cet accroissement, et les pratiques commerciales « illicites » qui sont apparues, ont poussé le législateur et les autorités de contrôle à démultiplier les réglementations applicables à ces « plateformes en ligne » (Définition issue de la Loi pour une République Numérique d’Octobre 2016, reprise à l’article L.111-7 du Code de la Consommation).

L’année 2019 a de nouveau été marquée par de nombreuses évolutions impactant les Plateformes et autres marketplaces. Ainsi tout opérateur ou tout porteur de projet doit désormais nécessairement s’intéresser au cadre juridique applicable pour ne pas risquer de mettre à mal son modèle économique.

Vous souhaitez connaître le cadre juridique existant applicable aux plateformes en ligne :

Découvrez notre article

En 2020, les Opérateurs de Plateforme devront particulièrement prêter attention aux éléments suivants :

  1. Face aux nombreuses dérives constatées, la réglementation fiscale des plateformes en ligne a été largement renforcée, rendant l’opérateur toujours plus responsable des éventuels manquements de ses marchands ;
  2. Les opérateurs de plateformes liées au transport et à la mobilité (VTC, stationnement, free floating, fret, transport, etc.) seront confrontés au fait que la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) a été définitivement adoptée et encadre désormais ces activités ;
  3. L’Union Européenne est venue encadrer l’activité des opérateurs de plateformes BtoC, grâce au règlement « P2B » qui régit notamment les relations contractuelles entre l’opérateur et les marchands référencés ;
  4. Côté sécurité des paiements, tout opérateur devra être attentif au fait que l’authentification forte des transactions va devenir prochainement obligatoire ;
  5. Les contrôles de la DGCCRF augmentent face aux très nombreuses pratiques déloyales constatées ;
  6. Enfin, de nombreux jugements sont actuellement rendus dans des litiges concernant des places de marché, ce qui permet d’affiner sa stratégie commerciale et d’anticiper d’éventuelles sanctions.

 

1. Les opérateurs de plateformes auront désormais à leur charge des obligations fiscales renforcées

C’est le changement majeur, initié depuis l’année 2016 et l’entrée en vigueur de la Loi pour une République Numérique. L’année 2020 sera marquée par une nette accentuation des obligations fiscales à la charge des opérateurs de plateformes en ligne.

Le dispositif, basé principalement sur les articles 242 bis, 256 et 283 du CGI, prévoit désormais les obligations suivantes :

  • L’Opérateur de Plateforme mettant en relation à distance, par voie électronique, des personnes notamment en vue de la fourniture d’un service, est tenu

d’adresser par voie électronique :
- Aux vendeurs, prestataires ou parties à l’échange un document mentionnant notamment le nombre et le montant total brut des transactions réalisées par l'utilisateur au cours de l'année civile précédente ;
- à l’administration fiscale, au plus tard le 31 janvier de l’année suivant celle au titre de laquelle les informations sont données, un document récapitulant notamment le nombre et le montant total brut des transactions réalisées par l’utilisateur au cours de l’année civile précédente.

Par exception, l'opérateur de plateforme est dispensé de cette obligation lorsque :

- Le total des montants perçus par un même utilisateur n’excède pas 3.000 euros ;
- Le nombre de transactions réalisées dans l’année est inférieur à 20 (Article 23 L undecies du CGI).

 

--> ATTENTION : Ces premières obligations ne devront pas être prises à la légère puisque l’opérateur de plateforme qui ne remplirait pas ses obligations déclaratives s’expose à une amende de 5% des sommes non déclarées !

  • L’opérateur devra transmettre à chaque transaction une information sur les obligations fiscales et sociales des utilisateurs, sous peine d’une amende forfaitaire qui a été portée en 2020 à 50.000 euros en lieu et place des 10.000 euros prévus précédemment. L’Opérateur devra également renvoyer vers les sites des administrations compétentes.

Par ailleurs, en matière de déclaration et de paiement de la TVA, le dispositif actuel a été renforcé afin notamment de préciser l’assujettissement des vendeurs se considérant, à tort, comme exonérés de son paiement (voir notre article sur le sujet).

  • En ce qui concerne toutes les opérations intervenues après le 1er janvier 2021 : toute personne qui facilitera, par l’utilisation d’une interface électronique, des ventes à distance ou la livraison de biens importés d’une valeur inférieure à 150 euros sera expressément assujettie à la TVA, ce qui inclut toute « place de marché, plateforme, portail ou un dispositif similaire ».
  • Les opérateurs de plateformes en ligne qui dépassent un seuil de connexions de 5 millions de visiteurs uniques par mois :
- devront prendre des mesures et s’en justifier à l’Administration fiscale quand cette dernière leur signalera qu’un de leur utilisateur est soupçonné de se soustraire à ses obligations relatives à la TVA ;
- devront à la demande de l’administration fiscale, à l’issue d’un délai d’un mois et si les présomptions persistent, prendre des mesures complémentaires ou à défaut exclure de la plateforme le marchand ou prestataire référencé ;
- seront tenus solidairement responsables, avec le marchand / prestataire fautif du paiement des sommes dues au titre de la TVA s’ils n’ont pas respecté les mesures imposées par l’administration.

Ce processus s’appliquera également à l’égard des opérateurs de plateformes en ligne référençant des vendeurs qui se soustraient aux obligations liées à la TVA, dans le cadre de l’importation de biens.

Par conséquent, tout opérateur de plateforme devra, pour 2020 :

  • étudier son éventuel assujettissement à l’ensemble de ces obligations au regard de son activité et de son modèle ;
  • configurer sa plateforme pour être en mesure de :
    - Collecter les informations économiques exigées de lui par l’administration fiscale ;
    - Communiquer à l’administration fiscale les données obligatoires concernant les transactions réalisées par son intermédiaire ;
  • modifier ses contrats afin d’y prévoir ses obligations en matière fiscale.

2. L’adoption de la loi d'orientation des mobilités (LOM) va impacter l'ensemble des plateformes liées à la mobilité

La loi d’orientation des mobilités (la « LOM ») est entrée en vigueur le 24 décembre 2019 (suite à la censure de certains de ses articles par le Conseil constitutionnel).

Ce texte a vocation à réformer en profondeur de nombreux aspects du transport : services de mobilités, VTC, covoiturage, autopartage, trottinettes, voitures autonomes, données de transport etc.

L’objectif de cette réforme est de concilier l’amélioration des déplacements au quotidien avec l’enjeu de protection de l’environnement.

Les principales mesures de la LOM sont les suivantes :

  • Mise en place d’Autorités organisatrices de la mobilité (AOM): l’ensemble du territoire sera couvert par ces AOM. Elles auront pour mission de coordonner les modes de déplacement. Chaque agglomération devra se doter d’applications permettant de se renseigner sur les offres de transports en commun et d’acheter son titre de transport, de réserver des VTC, ou des services de covoiturage ou d’autopartage, ou enfin de trouver des places de stationnement ...  
  • Encadrement des services de free-floating : Les services de free-floating étaient jusqu’à présent peu encadrés. Désormais, un régime juridique sera prévu pour les opérateurs de services de partage de véhicules mis à disposition sur la voie publique sans station d’attache. Les collectivités publiques pourront limiter le nombre d’engins déployés et même refuser tout service de free-floating sur leur territoire si elles le souhaitent.
  • Ouverture des données de transport: la LOM transpose en droit français la directive européenne imposant l’ouverture des données des services de transport, qu’il s’agisse d’informations statiques ou dynamiques. Les VTC et les services de covoiturage ne sont pas concernés par cette mesure, en raison du fait qu’ils n’ont pas d’horaires ou de prix fixes à afficher. Toutefois, la plupart des services de mobilité sont concernés, y compris les acteurs du stationnement.
  • VTC: les opérateurs de plateformes de VTC devront désormais se doter d’une charte pour assurer les chauffeurs VTC de leur droit à la déconnexion ; de l’affichage à l’avance du prix d’une course et de leur droit de refuser une course si son prix est trop bas. Bien que non-obligatoire, la plupart des Plateformes VTC se sont engagées à appliquer cette charte.
  • Consécration du « cotransportage »: L’article 40 de la LOM consacre l’activité de cotransportage définie comme « l'utilisation en commun, à titre privé, d'un véhicule terrestre à moteur effectuée à titre non onéreux, excepté le partage des frais, pour transporter des colis dans le cadre d'un déplacement qu'un conducteur effectue pour son propre compte. ». La loi précise expressément que cette activité ne peut pas être considérée comme une activité de transport de marchandises à titre onéreux.

Un arrêté devrait néanmoins fixer le seuil au-delà duquel les contributions financières reçues pourraient permettre de qualifier un « cotransporteur » de professionnel du transport public routier de marchandises.

  • Aide pour le covoiturage: pour inciter les conducteurs à partager leur véhicule, la LOM prévoit la possibilité pour les AOM de subventionner les conducteurs sur un voyage pour lequel ils n’ont trouvé aucun passager. Par ailleurs, les voyages réalisés en covoiturage pourront également être subventionnés à raison de deux trajets par jour.

En conclusion, tout opérateur de plateforme liée à la mobilité ou tout porteur de projet devra étudier l’impact de la LOM sur son activité, notamment dans l’hypothèse où celle-ci exigerait de lui la mise en place de chartes ou d’un portail permettant la communication de données pouvant être concernées par « l’open data ».

3. L'Union Européenne publie le règlement « P2B » destiné à réglementer les moteurs de recherche ainsi que les plateformes numériques

Le règlement européen dit « P2B » pour « Platform to Business » a été adopté par le Parlement et le Conseil Européen et entrera en application à partir du 12 juillet 2020.

Ce Règlement a vocation à instaurer un environnement économique transparent et prévisible pour les professionnels qui utilisent les services d’intermédiation en ligne pour la vente de leurs biens ou services. Il vient notamment encadrer les dispositions des contrats entre opérateurs de plateformes et les marchands qu’ils référencent.

Quatre principaux objectifs sont poursuivis par ce règlement (pour le détail des dispositions, voir notre article):

  • Encadrer les relations contractuelles entre le fournisseur du service d’intermédiation et les entreprises utilisatrices de ses services ;
  • Renforcer les obligations de loyauté des fournisseurs de services d’intermédiation ;
  • Imposer une transparence relative au fonctionnement de leurs services / plateformes ;
  • Améliorer les procédures de règlement des différends entre les fournisseurs de services d’intermédiation et les professionnels utilisant leurs services (les marchands/prestataires référencés).

Dès 2020, les opérateurs de Plateformes devront donc veiller à revoir les contrats encadrant leurs relations avec les professionnels commercialisant leurs produits ou services via leur plateforme pour s’assurer de leur conformité au règlement européen « P2B ».

4. Mise en place de l’authentification forte des transactions à distance

La mise en place de l’authentification forte des paiements, ou « Strong Customer Authentification (SCA) » en anglais, qui était initialement prévue pour le 14 septembre 2019, a finalement été repoussée au mois de mars 2021

L’année 2020 devra donc être consacrée à la mise en place d’un système d’authentification reposant sur l’utilisation d’au moins deux éléments appartenant aux catégories suivantes :

  • Connaissance: quelque chose que seul l’utilisateur connaît (mot de passe, question secrète, code secret, code PIN, numéro d’authentification etc.) ;
  • Possession: quelque chose que seul l’utilisateur possède (téléphone mobile, appareil connecté, carte à puce, jeton d’authentification, etc.) ;
  • Inhérence: quelque chose qui compose ou définit l’utilisateur (empreinte digitale, reconnaissance faciale, reconnaissance vocale etc.).

Pour se conformer à ces nouvelles obligations qui pourront impacter les transactions opérées via la plateforme et donc, in fine, le flux d’affaires de la plateforme, les opérateurs devront rester attentifs aux évolutions réglementaires en la matière.

5. En 2020, les contrôles de la DGCCRF devraient se multiplier et les sanctions se durcir

La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) a pour mission principale d’assurer la protection économique des consommateurs.

A ce titre, elle mène des contrôles pour vérifier la bonne application de la réglementation et la loyauté des pratiques commerciales, comme elle a pu le faire en fin d’année 2019 sur les plateformes de vente de produits cosmétiques et de jouets.

Pour l’exercice de cette mission, la DGCCRF a procédé, en 2019, à de nombreux contrôles d’Opérateurs de Plateformes afin de mieux protéger les consommateurs.

En 2019, la DGCCRF a notamment transmis à l’autorité judiciaire les conclusions de ses investigations concernant le site vente-privée.com. Il était reproché à l’entreprise d’avoir cherché à donner à ses clients l’illusion de faire une bonne affaire en mettant en place différentes stratégies frauduleuses visant à construire un « prix de référence » fictif.

D’autres Plateformes ont été contrôlées et se sont vues reprocher notamment l’absence d’espace dédié permettant aux professionnels proposant leurs produits ou services via une place de marché, de respecter leur obligation d’information précontractuelle concernant les contrats de vente conclus à distance.

Par ailleurs, le 2 septembre 2019, le Tribunal de commerce de Paris saisi à la suite d’une enquête réalisée par la DGCCRF, a infligé une amende de 4 millions d’euros à Amazon en raison du déséquilibre significatif existant dans les relations contractuelles avec les tiers vendeurs. En effet, Amazon avait notamment la possibilité de modifier ses conditions commerciales de manière unilatérale et de fermer le compte d’un vendeur sans motif ni préavis.

Il apparaît donc que l’année 2020 risque d’être marquée par des contrôles de la DGCCRF de plus en plus fréquents.

Les opérateurs de plateformes en ligne devraient donc mener de manière préventive sur leurs plateformes des audits en prévision d’éventuels contrôles de la DGCCRF.

En effet ces contrôles, au-delà des sanctions financières prévues, ont un effet particulièrement néfaste sur l’image des plateformes concernées comme on a pu le voir récemment suite aux sanctions prononcées à l’encontre de 19 sites e-commerce.

6. Les décisions de tribunaux concernant les plateformes se multiplient

L’année 2019 a également été marquée par de nombreuses décisions rendues au sujet de l’activité des Plateformes en ligne. 

  • Concernant la responsabilité de l’opérateur liée aux transactions réalisées par son intermédiaire :

Le 28 juin 2019, le Tribunal de Grande Instance de Paris s’est positionné sur le point de savoir qui, du vendeur ou de l’opérateur de plateforme, serait considéré comme responsable juridiquement en cas de commercialisation d’un produit contrefaisant par l’intermédiaire d’une place de marché. En l’espèce la société Cdiscount avait été  accusée de contrefaçon par la société Jansport Apparel Corp (JAC) exploitante de la marque de sacs à dos Eastpak, au motif qu’elle avait commercialisé via sa marketplace des sacs manifestement contrefaisants en provenance de Chine.

Après une étude du fonctionnement de la Plateforme, le Tribunal de Grande Instance de Paris a finalement considéré que Cdiscount se contentait, en tant qu’opérateur de plateforme en ligne, d’endosser un rôle de prestataire technique, automatique et passif et qu’à ce titre Cdiscount, en tant que simple hébergeur, ne devait pas être considérée comme responsable des produits contrefaisants commercialisés sur sa Plateforme.

Cette décision va à l’encontre de celle rendue le 21 Novembre 2017 dans une affaire similaire opposant la marketplace Alibaba à la société LAFUMA, le TGI de Paris ayant considéré qu’Alibaba était, elle, éditeur (et donc responsable) compte tenu de son immixtion dans les transactions réalisées par son intermédiaire.

L’année 2020 devrait donc être source de nouveaux arrêts, précisant les décisions de première instance des tribunaux de grande instance pour ainsi préciser la responsabilité des opérateurs de plateformes par rapport aux transactions réalisées par leur intermédiaire.

  • Concernant le risque de requalification du contrat entre opérateur et prestataire de services indépendant en contrat de travail

Tout opérateur de plateforme référençant des prestataires de services indépendants (VTC, cosmétique, service à la personne, livraison) devra rester particulièrement attentif à la fois au règlement européen « P2B » et aux décisions des Conseils des Prud’hommes qui continuent, invariablement, à prononcer des requalifications du contrat entre opérateur et prestataire de services en contrat de travail (voir notre article sur le sujet).

Tout opérateur de plateforme dédiée à des prestations de services devra impérativement veiller à limiter le risque de requalification de ses contrats avec les prestataires indépendants en contrat de travail, une telle requalification pouvant avoir de graves conséquences financières et remettre à mal tout un modèle économique.

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Paul Benelli

Auteur Paul Benelli

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