LCB/FT : entreprises concernées, obligations et sanctions

LCB/FT : entreprises concernées, obligations et sanctions
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Par Gérard Haas, Charlotte Paillet et Sara Bakli

Par une décision n°2020-11 du 1er mars 2022, la Commission des Sanctions de l’ACPR[1] a sanctionné la société W-HA, filiale d’Orange, exerçant son activité sous le statut d’établissement de monnaie électronique sur le fondement du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux[2] et le financement du terrorisme[3].

Le produit offert à la vente, portant le nom « Orange Money France » (OMF) reposait sur la fourniture d’un forfait mobile associé à la possibilité d’ouvrir un compte de monnaie électronique. Ce compte permettait d’effectuer des transferts d’argent, par le biais de l’application mobile, depuis la France et à travers le monde.

Compte tenu de cette activité, l’ACPR a considéré que la filiale d’Orange avait manqué à ses obligations de :

  • déclaration de soupçons à l’organisme TRACFIN
  • collecte d’informations, lors de l’entrée en relation d’affaires, sur les clients (revenus, profession) ;
  • d’informations accompagnant les transferts de fonds à l’étranger ;
  • mise en place d’un dispositif de suivi, d’analyse des opérations et de la relation d’affaires dans le cadre de l’offre ;
  • application de la législation sur le gel des avoirs.

Griefs qui lui ont valu une sanction financière de 700 000 euros, un blâme, ainsi que la publication de la décision au registre de l’ACPR pendant une durée de cinq ans sous forme nominative, avec maintien de la publication sous forme non nominative après cette période.

Cette décision est l’occasion de revenir sur les obligations reposant sur les professionnels et entreprises assujetties en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).

Quelles entreprises sont concernées par la législation LCB/FT ?

Le code monétaire et financier vient encadrer la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

A cet égard, sont assujetties à ces obligations :

  • Les établissements de crédit et financiers
  • Les établissements de paiement
  • Les établissements de monnaie électronique
  • Les assurances, les entreprises d’investissement, ou prestataires de services d’investissement[4].

Ces entités sont en effet tenues à une obligation de vigilance à l’égard de la clientèle (art. L561-4-1 du CMF) en raison de leurs activités, particulièrement exposée au risque de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.

Les organismes assujettis devront notamment prévoir la mise en œuvre de dispositifs d’identification et d’évaluation des risques de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme, ainsi qu’une politique qui soit adaptée à ces risques.

Les obligations essentielles en matière de lutte anti-blanchiment

La première étape pour lutter contre le blanchiment est celle de la connaissance client avant d’entrer en relation d’affaire mais aussi tout au long de cette relation.

La démarche KYC (Know Your Customer) dans le cadre de la LCB/FT

Elle implique un certain nombre de vérifications et un devoir de vigilance constant. Par ailleurs, la conservation des données des clients même après la relation aura un impact de taille si des évènements frauduleux sont constatés postérieurement.

  • Or, dans le cadre de son offre de produit OMF, la société W-HA ne prévoyait pas de collecter d’informations sur les revenus et la profession des clients. L’ACPR a considéré que ceci rendait inefficace le dispositif de suivi et d’analyse des opérations et de la relation d’affaires mis en place par l’entreprise.

La Commission a rappelé que, pour prévenir les risques de manière efficiente, il est notamment nécessaire de recueillir les informations relatives à l’objet et à la nature de la relation, ou tout autre élément d’information pertinent, informations devant être actualisées tout au long de la relation[5].

Le dispositif de suivi et d’analyse des opérations et de la relation d’affaires[6] 

Connaître le client avant l’entrée en relation d’affaires est une « simple » première étape. Toutefois, la lutte contre le blanchiment implique une vigilance constante par un examen attentif des opérations effectuées, cohérente avec la connaissance actualisée du client. Cette évaluation doit notamment prendre en compte les risques liés aux produits et services offerts[7].

C’est pourquoi, au-delà de la démarche KYC, les organismes assujettis sont soumis à l’obligation de déclaration de soupçons, lorsque les sommes et opérations inscrites dans leurs livres dépassent un certain seuil pouvant être lié au financement du terrorisme ou à l’existence d’une fraude fiscale[8].

  • En l’espèce, la société W-HA avait manqué à son obligation de déclaration de soupçon pour plus d’une vingtaine de dossiers dont la nature des opérations concernées (opérations de clients de l’offre monétique « Mobile Connect » pour 11 dossiers, et de clients du produit OMF pour 13 dossiers) était particulièrement exposée au risque d’infraction à la réglementation LCB-FT (transferts de fonds).

L’obligation d’information des organismes assujetties

Toujours dans le cadre des dispositifs de suivi, les organismes assujettis ont une obligation d’information concernant les donneurs d’ordre, les bénéficiaires et les numéros de comptes de paiement concernés dans le cadre de transferts de fonds, particulièrement lorsqu’au moins un des prestataires de services de paiement intervenant dans le transfert de fonds est établi dans l’Union[9].

  • Au titre du contrôle de la société W-HA, l’ACPR a constaté que certains transferts de fonds vers des pays hors de l’Union Européenne ne comportaient pas le nom du bénéficiaire. Or, l’obligation de vérification de l’existence de ces informations, toujours dans un but de traçabilité, pèse en principe sur le prestataire de services de paiement ou « PSP », se situant à l’étranger.

Les sanctions en cas de non-respect de la directive LCB/FT

Le gel des avoirs : sanction économique et financière s’inscrivant dans la lutte contre le terrorisme et le blanchiment de capitaux, le gel des avoirs est destiné à restreindre l’accès aux ressources financières de toute personne commettant une infraction à la législation LCB-FT. Concrètement, tout changement dans le volume, le montant, la localisation, la propriété, la possession, la nature et la destination ainsi que l’utilisation de fonds ou de ressources économiques sera bloqué par ces mesures.

Les conséquences du gel des avoirs sont diverses :

  • Des restrictions aux importations ou aux exportations, de façon générale ou ciblée ;
  • Des restrictions d’accès aux marchés financiers, des interdictions d’octroyer des prêts ou crédits, d’effectuer des transferts de fonds ou de fournir des services d’assurance ou de réassurance.

Les organismes assujettis sont tenus d’appliquer sans délais les mesures de gel et les interdictions de mise à disposition ou d’utilisation des fonds, ainsi qu’à une obligation d’information du ministre de l’Économie[10].

En conclusion, au travers des décisions et de la solide réglementation existante en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, il convient aux organismes assujettis de rester en alerte sur leurs obligations d’évaluation des risques, de vérification de l’identité des clients et de leurs bénéficiaires effectifs mais aussi sur les mesures de vigilance à l’entrée et tout au long des affaires.

L’obligation de déclaration à TRACFIN, le contrôle interne et le reporting à l’AMF et la mise en œuvre des mesures de gel des avoirs devront également être respectés pour une meilleure lutte contre les agissements frauduleux et une transparence financière efficiente.

En tout état de cause, il apparaît que tout manquement sera fermement sanctionné par l’ACPR.

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[1] L’ACPR est une autorité administrative indépendante dont le rôle est de contrôler les banques et les assurances, la stabilité des marchés financiers, et de contrôler le respect du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (CMF).

[2] Opération de dissimulation de la provenance de fonds acquis de manière illégale et les réinjecter dans l’économie officielle ou « légale ».

[3] En particulier des articles L.561-5-1, L.561-32, L.561-23, L.562-4 du Code monétaire et financier (CMF) et de l’article 6 du règlement (UE) 2015/847 du 20 mai 2015.

[4] Pour une liste exhaustive, voir également l’article L.561-2 du CMF

[5] L.561-5-1 du CMF

[6] L’article L.561-4-1 du CMF contraint les personnes assujetties à la « mise en place d’un dispositif d’identification et d’évaluation des risques de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme auxquels elles sont exposées ainsi qu’une politique adaptée à ces risques »

[7] Rapport de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil du 26 juin 2017 sur l’évaluation des risques de blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

[8] L.561-15 du Code monétaire et financier.

[9] Règlement (UE) 2015/847 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015

[10] L.562-4 du Code monétaire et financier.

Gérard HAAS

Auteur Gérard HAAS

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