Par Haas Avocats
L'œuvre intitulée « Fuck abstraction ! », réalisée par l'artiste Miriam Cahn et dernièrement exposée au sein du Palais de Tokyo, représente un homme imposant une fellation à une victime à genoux, les mains liées dans le dos, dont la silhouette a conduit plusieurs associations et représentants politiques à y voir la représentation du viol d'un enfant.Selon les propos de l'artiste, aucun enfant ne serait toutefois représenté sur cette composition picturale, laquelle aurait pour seule vocation de traiter de la façon « dont la sexualité est utilisée comme arme de guerre, comme crime contre l'humanité »[1].
Néanmoins, différentes associations de défense des droits de l'enfant[2] ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris afin de faire cesser l’affichage de l’œuvre litigieuse.
À la suite de sa décision rendue en défaveur des associations, celles-ci ont saisi le Conseil d’État, qui s’est prononcé le 14 avril 2023.
L'œuvre "Fuck abstraction !" considérée comme portant atteinte à la dignité de la personne
Les associations de protection de l’enfance soulignaient que l’œuvre « Fuck abstraction ! » porte une atteinte grave et manifestement illégale à la dignité de la personne et à l'intérêt supérieur de l'enfant, liberté fondamentale qui serait méconnue par la décision d'exposer et de ne pas retirer un tableau « représentant un enfant violé forcé d'effectuer une fellation à un homme adulte ».
De plus, les juges ont relevé qu’il n’y avait pas de prévention au sujet de l'impact potentiel de certaines œuvres sur les mineurs dans le cahier pédagogique destiné aux enseignants souhaitant se rendre au Palais de Tokyo.
Les arguments des juges administratifs de Paris en faveur de l’affichage de l’œuvre
L’absence d’exposition des mineurs au tableau
Les juges administratifs ont souligné que le Palais de Tokyo ne prévoyait pas de visite de l’exposition « Ma pensée sérielle » pour les lycéens et collégiens, allant jusqu'à décourager les enseignants de mener leurs élèves à la découverte de cette dernière, en envoyant un courrier type à cet effet.
En outre, la société Palais de Tokyo s'est dotée de mesures de sécurité visant à entraver l'accès des mineurs non accompagnés à l'exposition, tout en dissuadant les adultes accompagnés de mineurs d'y accéder.
Ainsi, l’exposition avait, le jour de l’analyse des faits, suscité l'intérêt de 45 000 visiteurs sans qu'aucune difficulté ne soit à déplorer, ni aucune plainte ou signalement émanant des visiteurs en question. Force est également de constater que nul enfant n'a été vu visiter l'exposition en solitaire, et que nul incident n'a été constaté.
L’intention de l’artiste
L'intention de l'artiste Miriam Cahn, au travers de son œuvre, se limite à la dénonciation d'un acte criminel.
En effet, il est indiqué dans l’exposition que le tableau : « a été réalisé pendant la guerre en Ukraine et après que les images du charnier de Butcha aient été diffusées ainsi que des images de nombreux viols sur des femmes et des hommes, dénoncés comme crime de guerre. Miriam Cahn réagit sur le vif à la violence de ces images qui ont circulé sur les réseaux sociaux et fait le tour du monde. (...) ».
À cet égard, le Palais de Tokyo s'est vu confier la tâche de fournir des éléments de contexte sur le chemin menant à ladite œuvre, de manière à restituer le sens que ladite artiste a souhaité lui insuffler, malgré la nature extraordinairement crue de cette dernière.
Le cadre de l’exposition
L’œuvre « Fuck abstraction ! » est exposée dans un lieu dédié à la création artistique contemporaine. A l’instar de tout établissement culturel, la société Palais de Tokyo est en droit de se prévaloir des libertés fondamentales inhérentes à toute création artistique, notamment la liberté de création et la liberté de diffusion.
Le Conseil d’État fait primer la liberté d’expression
Le Conseil d’État est dernièrement venu considérer que l’œuvre litigieuse ne saurait constituer une atteinte grave et manifestement illégale à l'intérêt supérieur de l'enfant, ni à la dignité de la personne humaine, faisant ainsi primer la liberté d’expression et de création ainsi que la liberté de diffusion artistique sur l’intérêt supérieur de l’enfant.
Dans un communiqué de presse, le Palais de Tokyo est venu saluer la décision des juges du Palais-Royal, et regretter que l’action des associations aboutisse à une « instrumentalisation de cette œuvre d'art et le mépris du rôle fondamental que jouent les musées partout dans le monde pour défendre les libertés dans le respect des droits de l'Homme ».
Force est de constater que la décision du Conseil d’État n’a pas été pareillement accueillie par certains représentants, parmi lesquels Pierre Chassin, placé en garde à vue pour « dégradation de bien culturel exposé » après avoir aspergé l’œuvre de peinture le 7 mai dernier.
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[1] Communiqué de presse du Palais de Tokyo du 7 mars 2023
[2] Associations Juristes pour l'enfance, Enfance et partage, Face à l'inceste et Innocence en danger