Intelligence artificielle générative : l’Autorité de la concurrence rend son avis

Intelligence artificielle générative : l’Autorité de la concurrence rend son avis
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Par Haas Avocats

L’Intelligence Artificielle n’a pas fini de faire couler de l’encre et de poser diverses problématiques juridiques, qu’elles soient éthiques, liées au respect de la propriété intellectuelle ou encore à la réglementation sur les données personnelles (RGPD).

L’intelligence artificielle soulève également de nombreuses questions au regard du droit de la concurrence, notamment quant à son impact sur l’économie et sur l’innovation.

Le 8 février 2024, l’Autorité de la Concurrence avait décidé de s’auto-saisir pour avis sur le fonctionnement concurrentiel du secteur de l’Intelligence Artificielle (IA) générative et de lancer une consultation publique.

Le 28 juin 2024, elle a rendu son avis.

Si l’on peut regretter que celui-ci ne traite pas (ou peu) des conséquences de l’IA sur le fonctionnement concurrentiel de l’économie[1], il éclaire sur de nombreuses questions et fournit des recommandations qui dessinent la future pratique de l’Autorité dans ce domaine, notamment en lien avec les règlements européens DMA (Digital Maket Act ou loi sur les marchés numériques)[2], DA (Data Act ou lois sur les données)[3] et naturellement IA Act (loi sur l’intelligence artificielle)[4].

La définition du secteur de l’IA générative

L’IA générative regroupe tous les outils utilisés par une machine afin de « reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité ».

Elle a un impact direct sur la vie quotidienne, ainsi qu’en atteste une infographie publiée par le Parlement européen :

Source : Parlement européen (https://www.europarl.europa.eu/topics/fr/article/20200827STO85804/intelligence-artificielle-definition-et-utilisation)

 

L’Autorité de la concurrence a identifié les acteurs du secteur :

  • Les grands acteurs du numérique (GAMAM, Nvidia) ;
  • Les développeurs de modèles, start-up, laboratoires de recherche spécialisés, lesquels ont souvent conclu des accords de partenariat avec les géants du numérique ;
  • Les fournisseurs de composants informatiques (Nvidia notamment) permettant de développer les processeurs graphiques et accélérateurs d’IA ;
  • Les fournisseurs de service cloud, hyperscalers (AWS, Google Cloud Platform) ou fournisseur cloud (OVH Cloud) notamment.

Les problématiques de concurrence soulevées par l’IA générative

Les spécificités du secteur

Le marché de l’IA générative est marqué par des caractéristiques différenciantes, lesquelles peuvent garantir à leur détenteur une position stratégique. Ces caractéristiques sont conséquentielles au fonctionnement de l’IA générative :

  • Le recours à des processeurs spécialisés permettant l’accès à une puissance de calcul efficace, souvent très couteux ;
  • L’importance d’accéder à des services cloud (afin d’une part, d’accéder à la puissance de calcul et, d’autre part, de diffuser les modèles d’IA sur la chaine de valeur en aval, telles que les marketplaces) ;
  • La nécessité d’accéder à un très large volume de données ;
  • L’emploi d’un personnel qualifié ;
  • Un financement conséquent et continu afin d’accéder aux infrastructures tierces ou aux modèles ouverts.

Fonctionnement du secteur

L’Autorité de la concurrence constate que le secteur est d’ores et déjà fortement marqué par la position de certains grands acteurs du numérique par l’effet cumulatif de différents éléments :

  • Un accès facilité aux différents « intrants », tel que la puissance de calcul (soit car ils sont fournisseurs de puces pour l’IA, soit car ils ont déjà noué d’importants partenariats avec les fournisseurs).

Ces géants du numérique ont également développé, en interne, des accélérateurs d’IA et bénéficient d’un accès large à un volume important de données en lien avec leurs activités notamment.

  • Des économies d’échelle et des effets de réseaux découlant de leur intégration verticale et horizontale.

Le fait que ces entreprises commencent également à embarquer de l’IA au sein de leurs écosystèmes de produits et services renforcera vraisemblablement leurs avantages sur leurs concurrents.

Les risques concurrentiels identifiés

L’Autorité de la concurrence a identifié différents risques :

  • Des risques d’abus au niveau de l’accès aux composants informatiques, via la mise en œuvre de pratiques liées à la fixation des prix, d’éventuelles restrictions de production, l’existence de conditions contractuelles déloyales ou de comportements discriminatoires.
  • Des risques de verrouillage financier et technique des grands fournisseurs de services cloud, lesquels pourraient être appréhendés via le droit des abus de position dominante.
  • Des risques liés à l’accès aux données, via la mise en œuvre de pratiques de refus d’accès, d’accès discriminatoire ou d’exclusivités.

L’Autorité pointe également un risque lié à la mise en œuvre de stratégies de « violation de la loi » visant à s’affranchir des règles applicables sur certaines données, telles que le droit des données personnelles ou encore le droit de propriété intellectuelle.

  • Des risques liés à la limitation de l’accès à une main-d’œuvre qualifiée, via la mise en œuvre d’accords de non-débauchage ou le recrutement massif d’équipes entières.
  • Des risques liés à la présence simultanée sur plusieurs marchés distincts, permettant la mise en œuvre de refus d’accès, de pratiques de ventes liées, de pratiques d’auto-préférence.
  • Des risques liés à des prises de participations minoritaires des géants du numérique et/ou la mise en place de partenariats stratégiques, lesquels viseraient à « affaiblir l’intensité concurrentielle » entre des acteurs économiques distincts, verrouiller des marchés ou affaiblir la transparence du marché.

Les recommandations de l’Autorité de la concurrence et les points de vigilance juridique

L’Autorité de la concurrence fournit pas moins de 10 propositions, lesquelles ne nécessitent aucune initiative législative.

Parmi elles, certaines méritent une attention particulière en ce qu’elles proposent une articulation avec certaines réglementations européennes récentes liées au secteur du numérique.

Le DMA vient introduire une régulation ex ante à l’encontre des plateformes considérées comme des gatekeepers (contrôleurs d’accès) en leur interdisant certaines pratiques dont on sait qu’elles ont un effet anti-concurrentiel ou encore en leur imposant certaines obligations liées à l’utilisation des données, leur portabilité ou encore l’interopérabilité de certains services.

L’Autorité de la concurrence recommande à la Commission d’évaluer la possibilité de désigner les entreprises fournissant l’accès à des modèles d’IA génératives dans le cloud (Model as a Service ou MaaS) en tant que contrôleurs d’accès.

Elle recommande également d’assurer une meilleure transparence des participations minoritaires prises par les géants du numérique. Pour ce faire, elle préconise à la Commission de solliciter, conformément aux dispositions du DMA, toutes informations utiles sur « les prises de participation minoritaires détenues dans le même secteur d’activité que la cible ».

Concernant le règlement sur l’intelligence artificielle qui, pour mémoire, classe les applications d’IA en fonction de leur risque (et leur impose de manière graduée une série d’obligations), l’Autorité de la concurrence recommande au futur bureau de l’IA de s’assurer que :

  • l’application du règlement ne freine pas l’émergence ou l’expansion d’acteurs de taille modeste ;
  • les grands acteurs du numérique ne parviennent pas à détourner à leur avantage les obligations qui lui incombent.

Nul doute que l’IA générative conduira, dans un avenir proche, à diverses enquêtes des autorités de concurrence nationales et européennes afin d’établir l’existence d’abus de domination, d’ententes ou de concentrations interdites.

L’utilisation par les entreprises des données collectées au travers de leurs produits ou services nécessite un audit afin de déterminer l’éventuel risque en découlant, tant au regard du droit de la concurrence, qu’au regard d’autres domaines du droit (RGPD, propriété intellectuelle, etc..).

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[1] Lesquelles sont renvoyées à une possible analyse ultérieure.

[2] Applicable depuis mars 2024.

[3] Applicable en septembre 2025.

[4] Applicable à partir de 2026.

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