Par Gérard Haas, Eve Renaud-Chouraqui et Céline Rodier
Alors que Mark Zuckerberg, le PDG de Facebook, a annoncé récemment le changement de nom du groupe pour devenir « Meta », Facebook continue néanmoins d’être au centre de virulentes critiques.
En effet, ces dernières semaines, Facebook est dans la tourmente suite à la série de révélations de la lanceuse d’alerte Frances Haugen.
Le consortium de presse « Facebook files » (incluant en France le journal Le Monde) vient de révéler que l’algorithme du réseau social serait devenu incontrôlable.
La cause : les multiples modifications de l’algorithme Facebook et l’absence de vision unifiée
Les effets de la modification de l’algorithme en 2018
L’algorithme de Facebook est une formule mathématique, secrète, qui permet de montrer certaines publications en priorité. C’est, en grande partie, ce qui a participé à son succès et de celui d’autres réseaux sociaux, tels que TikTok, Instagram ou Twitter.
Si de multiples changements sont intervenus depuis la création de l’algorithme Facebook, une modification majeure a eu lieu en 2018.
Son objectif : prioriser le contenu des « amis », appelés les « interactions sociales significatives » (meaningful social interactions ou MSI) par le réseau social, plutôt que les interactions avec les pages « likées ».
Comment fonctionne l’algorithme permettant de classer les messages qui s’affichent dans le fil d’actualité de chaque utilisateur de Facebook ?
Un « score » est attribué à chaque publication en fonction de plusieurs critères, tels que :
- Le nombre de personnes abonnées à une page ;
- L’intérêt que les « amis » d’un utilisateur ont manifesté pour un sujet.
Plus le score d’une publication est élevé, plus celle-ci a de chance d’être affichée en priorité dans le fil d’actualité.
Or, afin de s’assurer de l’attractivité des contenus publiés sur les fils d’actu alité, les ingénieurs ne cesseraient d’ajouter de nouveaux critères permettant de calculer ce score.
Premier effet négatif : l’accumulation de critères aurait complexifié à outrance le fonctionnement de l’algorithme et, selon l’enquête du journal Le Monde, certains scores « [pourraient] dépasser un milliard ». La modération des contenus serait, en conséquence, rendue plus délicate.
Deuxième effet négatif : les deep reshares (les contenus repartagés par des amis d’amis) auraient pris de l’ampleur.
Or, si le fil d’actualité comportait davantage de photos de famille ou de vacances entre amis, des contenus plus discutables (complotistes, d'extrême-droite, etc..) auraient envahi le réseau social. La raison ? Ces derniers seraient plus partagés par des comptes que par des pages.
Le changement de l’algorithme a donc produit l’effet inverse de celui escompté.
En réaction, Facebook a décidé de créer « integrity », une cellule chargée de limiter les deep reshares.
Or, leur limitation nécessiterait l’utilisation d’outil qualifié de « brutal », en ce qu’il toucherait « aussi des messages positifs ou anodins ».
Par ailleurs, selon certains anciens ingénieurs, même si le score de certains contenus pourrait être réduit de 20 à 50 %, cela ne suffirait pas à réduire l’impact d’un score pouvant dépasser le milliard.
La bête échappe donc à son créateur.
L’absence d’une vision unifiée
En parallèle de la modification de 2018, l’algorithme (ou plutôt les différents algorithmes) de Facebook aurait subi des évolutions plus ou moins significatives.
Le hic ? Ces évolutions auraient été réalisées sans « vision systémique unifiée ».
Il ressort des documents internes à l’entreprise (dévoilés par Frances Haugen) que les ingénieurs n’auraient pas toujours réussi à réduire les dommages collatéraux des changements d’algorithmes. En effet, les équipes rencontreraient des difficultés pour avoir une vision globale des différents changements effectués, comme en témoigne un document d’avril 2020 qui propose la mise en place d’un outil « de transparence interne pour centraliser l’assurance-qualité et le contrôle des rétrogradations de contenus dans le fil d’actualité ».
Facebook est conscient des problèmes liés à son algorithme….
Dans les différents documents dévoilés au sein des Facebook Files, les ingénieurs semblent avouer leur incompréhension face à leur propre algorithme, le code informatique étant de plus en plus difficile à maîtriser.
Par exemple, les ingénieurs n’auraient pas compris les phénomènes suivants :
- En Inde, des vidéos pornographiques softse retrouvent subitement mises en avant dans l’onglet Watch ;
- Aux États-Unis, certains groupes politiques continuent d’être recommandés aux utilisateurs, alors qu’ils ne devraient plus l’être.
Interrogé à ce sujet, Facebook reconnaît que tous ses algorithmes sont devenus des outils très complexes, mais affirme les améliorer via des modifications régulières, sans trop en dévoiler pour préserver ses secrets industriels.
… mais privilégie l’engagement
Le but de l’algorithme de Facebook est de prioriser les contenus qui « marchent le mieux » (nombre de likes, le temps passé, etc.), c’est-à-dire l’engagement des utilisateurs, au détriment des conséquences négatives des divers changements.
La raison sous-jacente est intrinsèquement liée au fait que Facebook dégage la majorité de ses revenus en monétisant des espaces publicitaires.
Cette double casquette (réseau social et régie publicitaire) le contraint à des allers et retours dans sa « ligne éditoriale ». Ainsi si Facebook avait mis en place des mesures préventives lors de l’élection présidentielle américaine en 2020, elle les a désactivées une fois l’élection passée, puis a été contrainte de les réactiver en partie lors de l’attaque du Capitole à Washington le 6 janvier dernier.
Face à de nombreux détracteurs, l’entreprise dément et évoque un « non-sens », car le réseau social ne doit pas perdre ses utilisateurs sur le long terme, et donc veiller à leur « bien-être ».
Quelles conséquences ?
Aujourd’hui, certaines personnes, comme Frances Haugen, souhaitent un retour au classement chronologique des contenus sur les réseaux sociaux.
Cela semble peu probable, Facebook étant plutôt dans une approche de renouveau avec le développement du « metaverse ».
Néanmoins, en sa qualité de plateforme et de gatekeeper, Facebook aura à se conformer aux diverses obligations proposées au sein des projets de règlements Digital Market Act (DMA) et Digital Services Act (DSA), actuellement en discussion à Bruxelles, lesquels visent notamment à imposer plus de transparence aux réseaux sociaux et donner plus de pouvoirs aux internautes.
Elle le devra d’autant plus que l’Europe est un des plus gros marchés pour Facebook. Contrainte et forcée, Facebook devra apporter toute la lumière sur le fonctionnement de ses algorithmes …
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