Par Stéphane ASTIER, avec la participation de Victoria ZAZA
Certains diront « mieux vaut tard que jamais ! », d’autres y verront peut-être un signe de mouvement de balancier. Toujours est-il que les faits sont là : le 6 mars 2019, Mme la députée Virginie DUBY-MULLER, a présenté à l’Assemblée Nationale une proposition de loi « visant à renforcer le droit du consommateur en cas de vente forcée en cycle court »[1]. C’est une très bonne chose. En effet, quel que soit le résultat du processus, il était grand temps que le législateur se saisisse de cette question et donne aux entreprises individuelles, aux TPE, PME et autres professions libérales fortement impactées des moyens efficaces pour se protéger et sortir de situations trop souvent inextricables.
Pour mémoire la technique de vente en cycle court ou « vente one shot » caractérise une méthode commerciale dans laquelle le prestataire de services cherche à obtenir la signature du client lors de sa seule et unique rencontre, physique ou virtuelle. La vente est actée lors de ce rendez-vous, sans que le client n’ait souvent le temps de prendre connaissance des stipulations contractuelles, et sans délai de réflexion. Au-delà du caractère immédiat ou quasi immédiat du processus de commercialisation, la force des ventes « one shot » s’appuie sur des mécanismes captifs complexes mis en œuvre au sein de constructions contractuelles dans lesquelles les prestataires informatiques s’associent à des sociétés de financement.
Après avoir évoqué la tourmente judiciaire[2] des ventes « one shot »[3] et dénoncé les déviances de ce fléau commercial[4], cette nouvelle étape législative méritait une attention particulière.
1. Une redéfinition protectrice « du champ d’activité professionnelle » …
L’enjeu est ici de taille : il s’agit de préciser les critères légaux permettant à un professionnel démarché de bénéficier de la protection du code de la consommation lorsqu’il agit en dehors de son champ d’activité professionnelle et que le nombre de salariés employés est inférieur ou égal à cinq [5].
A ce titre, Mme la Député prévoit à l’article 1er de sa proposition l’ajout d’un nouvel alinéa à l’article L.221-3[6] du Code de la consommation rédigé comme suit :
« Le simple fait que l’objet de ces contrats serve l’activité professionnelle du professionnel sollicité ne lui confère aucune qualité de nature à rééquilibrer les rapports contractuels, alors que tel est le cas si l’objet de ces contrats présente des caractéristiques propres conformes à celles de l’activité du professionnel, ou à tout le moins suffisamment proches. »
Cette formulation permet au professionnel démarché qui signerait un contrat dont l’objet ne correspondrait pas à son domaine d’activité de se prévaloir de dispositions protectrices du Code de la consommation.
Il s’agit ici de consacrer une jurisprudence récente de la Cour de cassation et plus particulièrement un arrêt rendu le 12 septembre 2018[7].
Cette affaire opposait une architecte d’intérieur ayant souscrit une licence d’exploitation de site web dédié à son activité professionnelle ainsi que d’autres prestations externes. Se voyant refuser l’exercice d’un droit de rétractation du fait de son statut de professionnel et du lien entre le contrat et son activité, l’architecte d’intérieur en cause se retrouvait assignée en paiement. En l’espèce la Haute juridiction a considéré que s’il est certain qu’un système de communication visant à porter à la connaissance du public une activité a un rapport direct avec cette activité, il n’entre pas nécessairement dans le champ de cette activité qui ne se définit pas nécessairement par l’utilité d’un tel système pour la société. Le message est clair : si la communication commerciale et la publicité via un site internet peuvent apparaître comme des outils importants de développement d’une société, ils ne sont pas pour autant partie intégrante du champ de compétence de tout professionnel.
2. … visant à étendre le droit de rétractation
Au-delà de la redéfinition du champ d’activité professionnelle, cette proposition de loi vise également à doubler le délai de rétractation applicable aux contrats conclus à distance et hors établissement, en le faisant passer de 14 jours à 28 jours.
Si ce délai concerne avant tout les consommateurs, il pourra par extension s’appliquer aux professionnels justifiant des conditions spécifiques prévues par les textes.
Ainsi, cette extension générale du droit de rétractation pour les contrats conclus hors établissement devrait, en cas d’adoption définitive par le Parlement, prendre la forme suivante :
Article L.221-3 (nouvelle rédaction proposée)
Les dispositions des sections 2, 3, 6 du présent chapitre applicables aux relations entre consommateurs et professionnels, sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels dès lors que l'objet de ces contrats n'entre pas dans le champ de l'activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq.
Le simple fait que l’objet de ces contrats serve l’activité professionnelle du professionnel sollicité ne lui confère aucune qualité de nature à rééquilibrer les rapports contractuels, alors que tel est le cas si l’objet de ces contrats présente des caractéristiques propres conformes à celles de l’activité du professionnel, ou à tout le moins suffisamment proches
Article L.221-18 (nouvelle rédaction proposée)
Le consommateur dispose d'un délai de vingt huit jours pour exercer son droit de rétractation d'un contrat conclu à distance, à la suite d'un démarchage téléphonique ou hors établissement, sans avoir à motiver sa décision ni à supporter d'autres coûts que ceux prévus aux articles L. 221-23 à L. 221-25.
Le délai mentionné au premier alinéa court à compter du jour :
1° De la conclusion du contrat, pour les contrats de prestation de services et ceux mentionnés à l'article L. 221-4 ;
2° De la réception du bien par le consommateur ou un tiers, autre que le transporteur, désigné par lui, pour les contrats de vente de biens. Pour les contrats conclus hors établissement, le consommateur peut exercer son droit de rétractation à compter de la conclusion du contrat.
Dans le cas d'une commande portant sur plusieurs biens livrés séparément ou dans le cas d'une commande d'un bien composé de lots ou de pièces multiples dont la livraison est échelonnée sur une période définie, le délai court à compter de la réception du dernier bien ou lot ou de la dernière pièce.
Pour les contrats prévoyant la livraison régulière de biens pendant une période définie, le délai court à compter de la réception du premier bien.
Certains pourraient voir dans cette proposition une nouvelle brèche dans le principe de consensualisme censé gouverner les relations entre professionnels (BtB).
En réalité le principe de libre négociation contractuelle en BtB n’a eu de cesse de connaître des restrictions légales depuis ces 10 dernières années. La révolution de la loi sur la modernisation de l’économie qui en 2008 instaurait la notion de déséquilibre significatif est un exemple[8]. La réforme de 2016 du code civil concernant les contrats d’adhésion en est un autre[9].
L’objectif du législateur est simple : protéger la partie faible quel que soit le type de relation.
Avec le cas des ventes « one shot » ou plus exactement des déviances de cette pratique, la piste du droit de rétractation pourra être explorée utilement à des fins de protection. Il s’agit pour autant d’un axe juridique de réponse parmi d’autres[10].
Pour en savoir plus, contactez-nous ici.
[1] Cf. http://www.assemblee-nationale.fr/15/propositions/pion1742.asp
[2] Cf. https://www.haas-avocats.com/actualite-juridique/ventes-one-shot-tourmente-judiciaire/
[3] Les ventes à cycles court sont également communément désignées vente « one shot ».
[4] Cf. https://www.haas-avocats.com/ecommerce/victimes-de-vente-one-shot-que-faire-comprendre-les-mecanismes-dun-fleau-du-net-pour-mieux-le-combattre/
[5] Cf. https://www.haas-avocats.com/ecommerce/lextension-droit-retractation-aux-professionnels/
[6] Cet article correspond à l’ancien article L.121-16-1 du Code de la consommation
[7] Cf. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 12 septembre 2018, 17-17.319
[8] Cf. Art. L.442-6 du Code de commerce qui sanctionne les clauses créant un déséquilibre significatif entre les Parties justifiant de la qualité de commerçants
[9] Cf. article 1171 du Code civil qui prévoit que Dans un contrat d'adhésion, toute clause créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties sera réputée non écrite
[10] Op. Cit - https://www.haas-avocats.com/ecommerce/victimes-de-vente-one-shot-que-faire-comprendre-les-mecanismes-dun-fleau-du-net-pour-mieux-le-combattre/